Je te dépose ? - [PV Allen]

J'éteins la TV avec un soupire lasse. Rien de bien intéressant ne passait, même temps on est dimanche et il est 10h. Je suis debout depuis 7h et après avoir fait de la paperasse pour le boulot je ne fais que tourner en rond. J'ai fait un brin de ménage mais vivant seul il n'y avait pas grand-chose à faire. J'avais traîné sur le Net mais j'avais vite arrêté en ne voyant que conneries sur conneries.
J'avais bien passé une heure sur le site de la SPA pour jeter un oeil aux chiens ou chiots à adopter. L'idée devenait de plus en plus convaincante. Ca m'obligerait à penser à autre chose qu'à moi et mes idées noires. Et puis je ne serais plus tout seul dans cet appartement. J'avais une seconde chambre donc la possibilité de prendre un colocataire mais disons que je n'étais pas spécialement sympa à vivre ces temps-ci. Pour éviter que ça ne finisse en règlement de compte j'évitais d'y songer pour le moment.

Donc après avoir fait défiler des bouilles adorables les unes après les autres, un berger australien me plaisait mais il était sourd. Je voulais bien sauver une bestiole à poils mais j'aimerai tout autant lui éviter de courir tout danger avec moi, car je ne saurais absolument pas gérer un chien avec un tel handicap. Il était écrit que le chiot était né comme ça et qu'il avait été éduqué avec le langage des signes. Je trouvais cela très impressionnant mais j'avais eu en tête que si un jour je devais avoir un chien c'était pour faire de longue promenades où il n'aurait pas eu besoin d'être attaché.
Il fallait que j'y réfléchisse plus sérieusement et que j'aille me renseigner, ça me ferait sortir en plus.

Mais bon pas aujourd'hui, un peu tard pour se pointer là-haut et puis l'idée devait encore mûrir avant de me rendre sur place car j'étais capable de tomber sous le charme et de repartir avec. Donc j'en reviens mon programme TV des plus intéressant. Après avoir fait 3 fois le tour de toutes les chaînes je me suis rendu à l'évidence qu'il n'y avait quepouik.
Je bascule la tête contre le dossier de mon canapé et je fixe le plafond. Je n'ai aucune motivation. Avant je me serais mis au piano pour jouer et/ou composer, ou je serais sorti en voiture, je me serais renseigné sur les trucs à voir dans les alentours etc. Mais tout seul c'est d'un ennui, personne avec qui discuter ni échanger sur ce qu'on voit.

Il fallait que je trouve quelque chose qui nécessite pas une grande réflexion et où on peut s'y rendre seul sans que ça ne suscite des regards en coin.
Une demi-heure plus tard voilà que je regarde les séances potentiellement intéressantes au cinéma. Les films à l'affiche ne sont pas folichons, des films d'animation pour les mioches, des comédies romantiques non merci, des films d'action peut etre et des films d'horreur/épouvante. Je prends le temps de regarder les bande annonces et celui du nom de Us me semblait pas mal. Je ne tergiverse pas davantage et je réserve mes places sur le site. N'ayant aucunement envie de faire la queue.

Je me change rapidement puis attrape veste, téléphone, portefeuille et clefs de voiture. Ni plus ni moins, je descends ensuite sur le parking privé du garage puis je grimpe dans ma mustang. Le moteur ronronne lorsque je le démarre, le bruit me détend et je prends la route un peu plus sereinement. De manière générale conduire m'a toujours calmé les nerfs. Lorsque je me dispute avec quelqu'un ou voire même tout seul je vais prendre le volant pour faire redescendre la pression.
C'est donc tranquillement que je me rends au cinéma de la ville. Par chance on est dimanche et il fait beau, j'ai l'espoir que les gens n'auront pas eu la même idée que moi et seront plus logiques en allant faire des activités d'extérieur.

Une fois arrivé je trouve une place qui n'est pas loin des stations de bus. L'emplacement est stratégique pour sortir du parking, ça évite d'avoir la malchance de se prendre une potentielle vague de voitures qui voudraient quitter l'endroit en même temps que moi.
A l'intérieur pas besoin de me diriger vers les guichets, je montre mon téléphone avec le QR code de mon billet puis je me dirige vers le côté pop-corn et glaces. Je me prends un pot de maïs soufflé avec du caramel comme nappage, j'y ajoute une boisson puis je paye le tout.

Je regarde la salle sur mon téléphone puis je prends la direction adéquate. Je mémorise le numéro de ma place pour éviter de devoir y jeter un oeil une fois dans la salle, je ne voudrais pas rater une marche et me rétamer en déversant ma gêne avec mon pop-corn.
Je gravis donc les marches en cherchant la bonne rangée, heureusement il n'y avait pas encore trop de monde. Je me laisse tomber à ma place et après quelques minutes de "pfiouh" je me redresse et enlève ma veste que je poste sur le siège à ma droite. Je me cale confortablement puis attrape une poignée de maïs. En dehors du fait que le caramel me colle aux doigts, je me dis que j'ai bien fais de traîner ma carcasse jusqu'ici.

Les lumières se rallument doucement et ma vue s'adapte à ce passage de l'obscurité à la lumière. Je me redresse et j'appuie mes coudes sur mes genoux pour passer mes mains sur mon visage. J'étouffe un bâillement mais contrairement à ce que ça peut laisser penser, j'ai bien accroché au film. Bien tordu comme j'aime.

Je regarde un instant les gens sortir de la salle en discutant, surement en train d'échanger sur le film. Personnellement j'allais en débattre avec moi-même sur la route du retour.
Je m'étire en levant les bras au-dessus de ma tête. Je sens que mon dos me rappelle à l'ordre, à force de prendre de me contorsionner au garage pour mettre le nez dans les voiture, il m'arrive de me bloquer le dos.
Je vérifie ce qu'il reste dans mon pot de pop-corn puis j'attrape veste et boisson puis je quitte tranquillement la salle. Je jette le bocal au passage puis pousse la lourde de porte qui mène à l'entrée du cinéma. Une fois sur le parvis j'enfile ma veste et coince la bouteille sous mon bras pour sortir mon paquet de clopes.

Je prends quelques minutes pour émerger en tirant une première bouffée. Je regarde l'heure sur mon téléphone, voilà pourquoi j'avais faim, il était presque 12h. Parfait timing, je me dirige alors vers ma voiture, bien décidé à aller me chercher un burger et le manger je ne sais où.
Une fois arrivé à mon véhicule je pose mes fesses sur le capot pour prendre le temps de terminer mon petit plaisir coupable.
Comme tout à l'heure je regarde ce qui se passe autour de moi. Des pères sortent du cinéma avec des bambins qui courent partout et dont les parents essaient de rattraper pour éviter qu'ils ne s'approchent trop près de la route. Des couples prennent quelques minutes pour s'embrasser, lovés l'un contre l'autre. Des groupes d'amis jacassent, d'autres chahutent.

Je pousse un soupir et je finis ma cigarette en l'écrasant sous la semelle de ma chaussure. Je lâche ma fumée et me redresse. Mon regard est attiré par un homme qui court vers un taxi et je le vois carrément plonger à l'intérieur comme si sa vie en dépendait. Le véhicule démarre aussitôt et laisse sur le trottoir quelqu'un qui visiblement s'apprêtait à monter dedans.
Je hausse un sourcil, décidément l'incivilité est partout. J'observe l'homme qui passe d'un air choqué et dépité à un air visiblement très agacé. Quoi de plus normal, ça m'aurait bien fait chier aussi. De nos jours c'est limite si on ne doit pas s'excuser de se faire bousculer.

J'hésite un instant, je ne le connais pas après tout. Mais il n'y avait pas d'autres taxis et si j'avais ete dans sa situation je n'aurais pas dit non si quelqu'un était venu me rendre service.
Après avoir parlé avec quelque personne depuis mon arrivée je me sentais un peu moins ours et puis je devais faire des efforts. Je me décide donc à lui prêter main forte et je me dirige vers lui.

- Eh ! Salut, j'ai vu ce con te prendre ton taxi. On ne se connaît pas mais si tu veux je peux te déposer quelque part. Ma voiture est juste là... Je désigne ma mustang noire puis mon regard se repose sur lui : " Promis je ne suis pas un psychopathe, j'étais venu voir un film et je repartais."

Je souris un peu pour lui montrer que je n'avais pas un mauvais fond, mais est ce qu'un simple sourire peut suffire à convaincre un inconnu que vous n'en voulez pas à son argent ou à son cul, je ne suis pas certain.

Je notais que ma proposition avait eu pour effet de surprendre mon interlocuteur, quoi de plus normal. Moi aussi si un inconnu m'avait abordé dans la rue sans aucune explications je me serai posé des questions. Et je pense que la seule réponse que je lui aurait accordé serait un grognement agacé. Rien de bien méchant mais juste histoire de faire comprendre à la personne de garder un distance respectable. Bon je l’admets ça n’aurait rien de très civilisé de montrer les crocs mais disons que j’ai de bonnes raisons.

Bon assez parlé de moi, aujourd’hui ce n’était pas ma personne qui se trouvait dans cette situation, mais plutôt ce jeune blond qui devait avoir une bonne dizaine d’année de moins que moi. De quoi me prendre un bon coup de vieux dans les dents. Depuis mon arrivée j’ai remarqué que la plupart des personnes que je croise ont aux environs de la vingtaine. Quoi de plus normal quand vous habitez dans une ville que je qualifierai “d’étudiante”. Les papy trentenaires se cacheraient ils ? En même temps si je sortais un peu plus de mon trou, je les verrai surement autant que les jeunots.

- Mmh... Mais j'aurai pu être un psychopathe. T'es bien sympa toi comme gars. Si tu m'assures que tu ne vas pas me tuer dans ta voiture et larguer mon corps quelque part... Pourquoi pas.

Moi, sympa ? Et bah ça faisait belle lurette qu’on ne m’avait plus qualifié ainsi. Ces derniers temps c’était plutôt “ taciturne “, “ renfermé “, voire même “ con “ donc je suis un peu surpris mais agréablement et puis je dois admettre que ça fait plaisir. Comme quoi je ne suis pas un cas désespéré et encore récupérable.

- Le sang ça tâche et je viens de nettoyer la banquette. Te concernant je prends le risque, je n’ai plus grand chose à perdre.

Comment tenter une plaisanterie et être aussi joyeux qu’un dépressif dans la même phrase. De quoi bien rassurer mon passager. D’un autre côté ce n’était pas totalement faux, mais j’étais le seul à le savoir. Je sens que je m'aventure dangereusement sur un terrain glissant. Pourtant il m’est déjà arrivé de l’envisager, n’ayant plus vraiment d’objectifs d’avenir, pourquoi continuer…

-Merci de reconnaître que ce mec était un vieux con... Comme s'il n'avait pas vu que j'avais appelé ce taxi... Enfin... moi c'est Allen. Par contre, tu connais un peu les collines de l'autre côté de la ville ? Parce que c'était là que j'allais... Ca te fait pas trop loin ? T'as été voir quoi comme film ? On était peut être au même.

Et allez hop, une nouvelle connaissance. Mon psy imaginaire devait surement être fière de moi. Je devais l’admettre, c’était sympa de rencontre du monde et discuter, même avec un parfait inconnu. Et puis il n’avait pas l’air méchant. Mais bon je trouvais tout le monde gentils. J’ai tendance à trouver tout le monde gentils. J’ai plutôt du mal cerner les personnes quand n’est pas marqué “du con” sur leur front. Bon, je ne suis pas Simplet non plus, n’exagérons pas les choses. Mais disons que ça me prend vite la tête de devoir essayer de scanner la personne pour voir si elle n’avait pas un pet au casque, on devient vite parano. Autant prendre les choses comme elles viennent et de voir ensuite. Ca va avec mon côté tête brulée, faire et aviser après coup.

Ayant eu son approbation pour lui servir de taxi, je prends la direction de ma voiture, avec cette fois quelqu’un à mes côtés. Prenant grand soin de ce petit bijou il n’y avait rien qui traînait sur le siège passager, il pouvait donc s’installer aisément.
Cette voiture était pour moi bien plus qu’une carrosserie et des gentes. Autant celles que je conduisais sur circuit je ne les voyais que comme des machines paramétrées pour les performances, leur complexité me fascinait, autant celle-ci avait une grande valeur sentimentale.

Une fois au volant je mets le contacte et attrape ma ceinture.

- Enchanté, moi c’est Donovan. Vaguement, j’y suis allé faire un tour mais je ne devrais pas avoir de mal à retrouver le chemin. Ne t’en fais pas pour la distance, j’aime bien rouler.

J’enclenche la marche arrière et je sors tranquillement de ma place de parking. Je zieute autour de nous puis je prends la direction de la sortie du parking.

-T'as été voir quoi comme film ? On était peut être au même. Je peux t'offrir un verre...Ou un truc à bouffer s'tu veux. J'vais pas te laisser me conduire gratuitement comme ca... Ca te dis ?

Je souris, pourquoi le gens se sentent ainsi redevable ou dans l’obligation de faire quelque chose en retour. Ah si, la bonne éducation tout simplement.

- T’emmerde pas, ça va. Je suis allé voir Us, le film d’horreur sur le double diabolique d’un famille. C’était vraiment sympa, et puis voir des têtes sursauter ça ajoutait un petit truc. Et toi ?

Je remarque une terrasse pas loin. J’hésite, ça serait toujours mieux que de blablater dans la voiture et puis au moins il ne stresserai pas de se sentir redevable. Je lui montre le café/bar d’un geste du menton.

- J’ai changé d’avis, si tu n’es pas pressé on peut se poser là.

Pour ne pas gêner la circulation le temps qu’il me réponde, je mets mon clignotant et je me déporte pour me garer au bord du trottoir pile en face de la dite terrasse. Que demander de plus ?

Je suis soulagé qu’il accepte. Ca me réconforte un peu, je laisse entrevoir assez de sympathie pour qu’on veuille bien boire un verre en ma compagnie.
Je le laisse s’installer là où il le voulait puis me pose à mon tour. Je m’enfonce contre mon dossier et laisse échapper un soupire d’aise. Je me permets de rebondir sur son compliment tout en regardant l’intéressée.

- Merci, je l’ai refaite entièrement. C’est...c’est un cadeau.

Ces quelque mots sont durs à sortir. Pourtant ce n’était rien. Je me sens soudain vulnérable, d’avoir partager ce détails. J’essaie de me convaincre que ce n’était que trois fois rien, et pourtant j’en ressens une gêne. Je ne saurai comment la décrire, je voulais rattraper ces quelque mots et les garder pour moi. Ne jamais partager ce genre de confession lourdes de sens. Je ne savais pas ce qu’il pouvait lire sur mon visage. Je ne savais pas si la douleur de ces mots se voyait. Je ne voulais pas. Ne pas être Donovan le pauvre homme, mais juste, Donovan.

Pourtant je sens s’insinuer en moi une pointe d’angoisse. Ma poitrine se serre et j’ai du mal à respirer. J’ai soudain froid et mon ventre se tord. J’essaie tant bien que mal de contenir cette peur irrationnelle. Peur de quoi en plus ? Qu’il découvre tout sur moi ? Oui...Mais comment pourrait il, juste en sachant que ma voiture est un présent. C’est idiot. Je suis idiot.

Ma main tremblante par fouiller à l’intérieur de ma veste. Elle en extirpe mon paquet de cigarette et je retiens ma respiration pour lever le nez vers Allen.

- Tu en veux une ?

Je pose le paquet sur la table, l’ouverture dirigée vers mon compère. Je ne lui ai pas demandé si ça le dérangeait. Car s’il m’avait répondu oui, par politesse j’aurai du ranger ma nicotine, or j’en ai vraiment besoin.
Je réussis à enfin l’allumer et je tire une longue taffe. Ca m’apaise un peu, mais je sens que ce n’est pas encore gagné. Je devais me concentrer sur autre chose, vite. Je tourne la tête pour expirer ma fumée puis regarde le blond.

- Ca t'arrive souvent de ramasser des inconnus en peine comme ca ? Ca aurai pu être dangereux.

- J’ai déjà ramené des potes complétements torchés. Ce que je ne ferai plus d’ailleurs, le vomi c’est chiant à nettoyer. Mais depuis que je suis ici, tu mon premier. Et oui ça aurai pu être dangereux mais j'ai connu pire.

Le serveur arrive ensuite. Mignon, enfin je crois. Tout souriant il nous salue et demande si notre choix est fait. A vrai dire non mais quand je vois Allen donner sa commande je m’efforce de faire un choix rapidement.

- Mettez nous une bouteille s’il vous plait, je vais prendre la même chose.

Une bonne solution de replis. Je n’étais pas vraiment en état de faire un choix raisonné et rapide. Le jeune sourit et minaude auprès de ma nouvelle connaissance. Il lui offre, ce que je suppose être, son plus beau sourire. Ah oui c’est vrai, j’avais presque oublié où je me trouvais. Le serveur repart ensuite en promettant de nous ramener notre commande rapidement, ne quittant pas Allen des yeux jusqu’à la dernière seconde.

- Cela va faire un peu plus d’un mois que je suis arrivé. Je bosse au garage. Je ne connaissais personne en arrivant, disons que ce n’était pas priorité mais bon je me suis sorti les doigts du cul et...hum, j’ai fais des connaissances. Tu en feras parti d’ailleurs. Ce fait toujours plaisir de rencontrer du monde sympa.

Quand je suis stressé j’ai légèrement tendance à être grossier et le débit de parole augmente pour combler le vide. Je reprends une bouffée.

- Et toi, tu fais quoi dans la vie ?

- Je crois que j’ai peur du serveur.

Je ne peux m’empêcher de rire avec lui. Intérieurement je le remercie pour sa remarque qui a un effet bénéfique sur mon humeur. Je pouvais le comprendre, moi même je n’étais pas encore très à l’aise avec ces regards, que d’ordinaire je voyais sur un visage féminin. Bien entendu j’avais déjà croisé des couples gays masculins mais c’est encore autre chose quand vous ête vous même le sujet d’attention de la personne en face de vous. C’est loin de ce que je recherche en ce moment donc je me contente de les ignorer.

- Oui c’est assez déroutant. Ma première sortie en ville je l’ai fait dans le grand bain. Je ne sais pas si tu connais le Beluga, et bien disons que j’ai mis les deux pieds dedans sans vraiment savoir. J’ai été plus que surpris.

Je lâche un autre rire amusé, car oui il fallait bien en rigoler. Et puis je me suis fait aider, d’ailleurs je me demande comment ça aurait fini si le rouquin n’était pas intervenu.

Je fais un instant le tri dans ce qu’il m’avait dit juste avant et je choisis de revenir sur certaines choses avant d’autres. J’avais juste besoin de mon verre avant d’aborder certain sujets.

- Oui je vois du monde au garage mais si tu veux tu peux me comparer à un ours mal léché.

Je souris et je tire la dernière taffe sur ma cigarette avant d’en écraser le bout restant dans le cendrier.

- Je suis dans une autre dynamique encore. J’ai toujours bien séparé mon travail de ma vie privée. Avec les boulots que j’ai eu c’était important d’avoir ce genre de démarche, du moins à mes yeux. Du coup oui je rencontre pas mal de monde car on est le seul garage du coin mais avec ma gueule de mal luné je fais déguerpir les clients. Comme je suis seul ça m’arrange car je ne perds pas de temps.

Le fameux serveur revient ensuite et nous sert nos verres. Du moins il en a l’intention, tout en dévorant Allen des yeux, mais je ne lui en laisse pas l’occasion en lui prenant gentiment mais fermement la bouteille des mains. “ Merci ça ira “ mon regard lui fait comprendre qu’il doit vite filer et il repart rapidement. Je me redresse et nous sert donc des demi verre puis repose la bouteille.

- Il ne faut pas voir l’échec comme une fatalité. Peut être que je ne t’apprend rien. C’est toujours compliqué de faire de nouvelles connaissances. Il faut laisser faire le temps tu verras, tu tomberas sur les bonnes personnes. Celles qui l'apprécient tel que tu es et sans que tu ai besoin de changer quoique se soit. Et la médecin c’est cool, dur mais intéressant. A l’époque j’avais un ami qui en avait fait ses études, quand il m’en parlait c’était plutôt passionnant. Si on enlève les termes techniques effrayants.

Je souris et lève mon verre dans sa direction pour ensuite en prendre une gorgée. Comme je l’avais espéré les saveurs du liquide me détendent et je pousse un soupire d’aise, m’enfonçant à nouveau contre mon dossier.

- Toi aussi Allen tu semble quelqu’un de sympa. Et rassures toi tu n’as absolument rien fait de mal. J’ai tendance à oublier que les gens que je rencontre ne peuvent pas savoir ce que j’ai vécu.

Je jette un oeil à la voiture.

- C’est un cadeau qui m’est très précieux. Je l’ai refaite entièrement. J’aime beaucoup rouler et elle me le rend bien.

Puis soudain quelque chose me vient à l’esprit. Je sens qu’on vit à semblablement la même situation actuelle, devoir faire face à une nouvelle vie.

-  As tu déjà eu une crise d’angoisse ? Comment on gère ça...

Visiblement Allen savait de quoi il parlait. C’est bête mais c’était rassurant de savoir que je n’étais pas le seul à devoir faire face à ce genre de situation. Non pas que je me réjouisse de son malheur, loin de là, mais on se sent toujours un peu plus serein quand on a quelqu’un en face qui comprend de quoi vous parlez.

- J’en ai eu une en tentant d’aller voir un psy. Le patient précédent m’a aidé à sortir de la salle d’attente. Je n’arrivais plus à respirer, tout était compressé à l’intérieur et je me sentais tomber sans que je puisse m’accrocher à quelque chose pour stopper ma chute.

Et la raison...si je savais. En fait j’en avais une vague idée mais à chaque fois l'élément déclencheur est différent.

- C’était la première fois. Pourtant j’ai déjà fais face à des situations stressantes mais là...disons que je contrôle rien quand je pense à certaine choses. C’est pour ça que je me plonge dans mon travail, pour éviter d’y penser et contrôler ce que je ressens.

Car si je me mets à penser, je ne sais même pas ce qu’il risque de se passer. En dehors de la crise d’angoisse. Je ne veux pas y penser. Je vais bien devoir à un moment mais rien que parler de la voiture me fait me sentir mal, alors poser clairement les choses sur la table. C’est dans ce genre de moment que je me dis que je suis une cause perdue.

Je prends une longue gorgée de mon verre et je porte mon attention sur Allen. Son hésitation m'interpelle et machinalement je me redresse pour m’ouvrir à sa conversation. Lui aussi quelque chose le tourmentait. Lui aussi devait se battre contre ses démons. De base on en a tous, plus ou moins effrayants et envahissants. Quels étaient les siens ? A défaut de réussir à me prendre en main, j’avais comme une envie de l’aider. Et c’était complètement prétentieux de ma part en vérité.

Je me sens un peu coupable d’avoir pointer quelque chose de douloureux pour lui, ou du moins compliqué.

- La vie n’est qu’une succession de hauts et de bas, et de vacheries sans nom. Quand tu crois que tu as trouvé ton équilibre, que tu peux enfin souffler. Et bien elle te fous un coup bien placé derrière la nuque. Et dans ce genre de moment, tu en as marre de devoir remonter la pente, encore une fois.

Je vide mon verre d’un trait et le dépose sur la table.

- Il m’arrive d’être joyeux comme garçon sinon.

Je lâche un rire nerveux mais je souris quand même. Je ne voulais pas non plus lui rajouter une couche de morosité.

- Tu veux boire autre chose ? On peut continuer de philosopher sur la vie dans la voiture. Je ne voudrai pas te faire rentrer trop tard. De mon côté je vais arrêter là, je ne voudrai pas que tu finisses à pied parce que j’aurai bu le verre de trop.

Je fais signe à un serveur pour avoir l’addition ou autre chose selon le choix de mon acolyte.

Visiblement le jeune était loin d’être con. Généralement quand on traverse des phases compliquées dans une vie, on gagne en maturité. Du moins si on suit le bon chemin, mais bon, tout est subjectif et propre à chacun. Tout n’est pas une généralité, oui je me contre dit.

Donc Allen se sentait seul, un autre point commun. Plus j’en apprenais sur lui, plus j’étais curieux de savoir ce qu’il avait traversé. Mais je n’étais pas dupe, toute bienséance exige des compromis. Je ne pouvais pas l’obliger à me développer ses plus sombres secrets sans que je me dévoile en retour. Sans partir sur un esprit d’échange, cela aide à s’ouvrir lorsque l’autre parle de ce qu’il lui est arrivé. Je ne saurais expliquer ce sentiment. C’est triste à dire mais lorsque l’autre à lui aussi vécu des choses compliquées, c’est plus simple de parler des siennes. On peut rebondir, donnez un avis ou un témoignage de sa propre expérience. Le malheur finit par rapprocher les gens finalement, on se dit qu’on est pas seul.
Pourtant c’est ce que j’avais voulu jusqu’à maintenant. J’estimais n’être que le seul légitime de souffrir de ce qui m’était arrivé. Aujourd’hui moins mais je suis toujours en colère contre ceux qui se permettent d’être tristes alors qu’ils ne l’ont pas connu, juste pour faire semblant. J’ai horreur de l’hypocrisie.

Bien entendu je n’avais aucun droit d’en vouloir à Allen, il ne l’avait jamais connue. Mais pourtant je ne sais pas si je serai soulagé un jour. Je suis parti du principe je vivre toujours avec cette douleur incessante dans la poitrine. Ce sentiment de vide que rien ne peut combler. Les courses ne m’avaient pas aidées, alors que ça avait été longtemps une bouffée d’oxygène.
Je ne sais pas ce qu’ Allen a vécu mais si je peux lui éviter de finir comme moi alors que j’ai à peine 30 ans. J’aurai servi à quelque chose. Je trouve qu’un gamin de son âge ne devrait pas porter un fardeau, quelqu’il soit, sur ses épaules. Il avait un bel avenir devant lui, du moins c’est ce que je pensais, je ne le connaissais que peu après tout. Mais il semblait très intelligent et débrouillard. Peut être qu’avec un peu d’aide il sortirait de son brouillard. C’est étrange, un morceau de piano me vient à l’esprit, mais pas moyen de retrouver le nom.

Perdu dans mes pensées, un peu sombres il faut le dire, je manque le moment où Allen paie l’addition. Je me retrouve un peu con et je le remercie avec un léger sourire.
On se lève de nos chaises et franchit les quelques mètres qui nous séparent de la voiture. Je m’installe avec lui et lui propose une autre cigarette avant de démarrer. J’allume la mienne et je mets le contact, je suis à l’aise pour conduire à une main donc pas de soucis à se faire de ce côté là. J’ouvre ma fenêtre pour pouvoir relâcher ma fumée sans lui en mettre dans le nez.
Alors que je prends la direction qu’il m’avait indiquée tout à l’heure je tends l’oreille lorsqu’il reprend la parole. Lui aussi était curieux de savoir, je ne pouvais pas lui en vouloir. On se pose tous la question de ce qui a bien pu arriver à l’autre. Cependant je me vois mal tout lui déballer d’un coup. J’ai du mal moi même à y penser tout seul, alors mettre noir sur blanc ce qui m’est arrivé, c’est hors des mes capacités. Malgré tout il semble comprendre que ce genre de questions n’est pas évidentes. Tenant le volant je ne peux pas me permettre de paniquer, c’est ce qui me fait tenir d’ailleurs.

- Non je n’y suis pas retourné. C’est une étape que je ne suis pas prête à franchir pour le moment. J’ai fais cette démarche surtout parce qu’on m’y a forcé. Mes parents s’inquiètent, je les comprends mais j’ai besoin de temps. Ca ne fait qu’un an.

Sans m’en rendre compte des informations s’échappent d’elles mêmes.

- Tu ne m’emmerdes pas, mais c’est compliqué pour moi d’en parler. Ca n’a rien à voir avec toi en particulier, rassures toi. J’en ai jamais parlé à personne depuis que c’est arrivé. Même pas avec ma famille ni avec certaines personnes concernées de plus ou moins près. Je me suis tout simplement renfermé, j’occulte cette partie de ma vie pour le moment. D’où le travail acharné, ça m’évite de me retrouver seul avec mes pensées. Quand j’ai le nez dans un moteur je réfléchis à ce que je fais, et non pas à ce qui s’est passé. C’est trop douloureux.

Lorsque je m’arrête à un feu rouge je me rends compte de tout ce que je viens de dire. Je reste un peu sur le cul. Je tire une grande latte de ma cigarette, le stress commence à monter mais heureusement le feu passe au vert et je peux redémarrer. Finalement rouler a encore un certain effet sur moi.

- Oui je me suis installé seul. C’était le but en quelque sorte. Je ne voulais voir personne, au risque de laisser une droite s’envoler. Je suis devenu légèrement colérique et lunatique.

J’esquisse un sourire sans joie et je pose mon bras sur le rebord de la portière. Mon autre main jongle aisément entre le volant et le levier de vitesse. Une boîte automatique serait bien plus pratique mais j’avais voulu garder autant d'authenticité que possible en la rénovant.

- Et toi ? Tu loges à l’académie ou à l’extérieur avec des colocataires ?

Ca me fait penser que j’ai une chambre de libre. Peut être qu’un jour je ferai passer une annonce. Mais bon pour le moment ce n’était pas du tout dans mes capacités de cohabiter avec quelqu’un.

- Tu sais Allen, je vois bien que tu as de bonnes intentions. C’est gentils de ta part de vouloir prendre le temps de m’écouter. Et je suis désolé de ne pas...disons, pouvoir. Cependant je ne suis pas le seul. Ton histoire m’intéresse tout autant. J’aimerai bien pouvoir t’aider du mieux que je peux, je ne suis pas très doué par contre pour donner de super conseils mais par expérience je sais que le simple fait d’écouter c’est déjà...beaucoup. Et ça je peux le faire sans problème.

Je tire une dernière fois sur mon bâton de nicotine puis le fait valser dehors. Je jette ensuite un bref regard au blond assis à côté de moi, puis me recentre sur la route.

- On peut rester en contact si ça te dit. Si un jour tu as besoin de passer pour gueuler un coup penser à autre chose, je pourrai te montrer ce que je fais au garage. Je ne te force pas bien sûr, mais parfois resserrer quelques boulons ça aide à se calmer.

Que je disparaisse dans la nature ?

Sa demande m’interpelle plus qu’elle ne devrait. Je jette un bref coup d’oeil au jeune assis sur le siège passager. Mon attention se repose ensuite sur la route, ce que je viens de voir dans son regard confirme mon doute. J’avais donc bien entendu une pointe d’inquiétude dans sa voix. Il avait mis l’accent sur ce fait en particulier, le risque que je m’en aille. Mais pourquoi…
Cette question trotte dans mon esprit alors que je l’écoute d’une oreille. Il fait preuve d’une certaine empathie à mon égard et je ne peux qu’en être touché. Il n’a aucune raison d’être aussi sympa avec moi. On ne se connait pas après tout, je l’ai juste dépanné d’un retour à pied. Sans doute devait il ressentir la même chose que moi, ce sentiment de déjà vu, dans la personne qui est en face de vous. Si je pouvais l’aider dans quoique se soit, lui fournir un repère, un peu bancal mais présent. Pourquoi pas. Bien entendu je n’ai nullement la prétention de devenir quelqu’un d’important, après tout je ne pense pas pouvoir endosser ce rôle.

Nous sortons ensuite de la ville et nous roulons un moment dans le silence. Je garde la vitre baissée pour laisser entrer la petite brise, ça fait du bien. Ma vitesse s’adapte avec finesse et je relâche doucement la pression dans un soupire. Sentir la pédale danser sous mon pied me rassure, c’est quelque chose que je maîtrise. Je sais ce que je fais, je ne me sens pas complètement paumé quand je conduis, et j’avais besoin de ça.

J’esquisse un sourire lorsqu’il refait allusion à l’expression que je lui ai sorti tout à l’heure me concernant. J’étais plutôt dans un bon jour donc effectivement il ne pouvait pas vraiment comprendre pourquoi je me qualifiait ainsi. Mais il y a des matins où un rien me ferait péter les plombs et dans ces moments là je deviens très grossier, voire agressif. Et à vrai dire j’en ai honte mais je ne parviens pas à me contrôler. Peut être que…

- Tu fais de la boxe ? Je te demande car durant mes années dans la Navy certains des gars en faisait pour gérer leur stress et autre. Je viens de me dire que j’envisagerai surement de reprendre, donc si ça te dit, on peut faire ça aussi.

Ce sentiment d’inquiétude ne me quitte pas. Ces paroles reviennent en boucle et avec une multitudes de questions. Je me voyais mal les lui poser comme ça de but en blanc, si il avait l’air autant soucieux de mon comportement, c’est qu’il avait déjà dû vivre ce genre d’expérience. Ce qui en soit était quelque chose de...traumatisant, j’imagine. Quelqu’un l’avait il déjà abandonné sans prévenir ? A cette idée ma mâchoire se crispe, ainsi que ma main sur le volant. Les jointures de mes doigts deviennent blanches sans que je ne m’en rende compte.

Je finis le reste du trajet en me torturant l’esprit sur tout ça. Après avoir suivi ses dernières indications, je me gare devant le chalet dont il m’avait parlé juste avant. Je devais avouer qu’il était sympa et le cadre autour était magnifique, si j’avais su j’aurai surement préféré vivre ici. Pour le coup ça collait plus avec mon image d’ours des cavernes replié sur lui même. Je sors ensuite de la voiture avec lui pour le raccompagner. Sur les quelques mètres je pars à la recherche de mon portefeuille, j’en tire une carte de visite pour le lui donner. Mon geste m’interpelle, je me rends compte en avoir donné souvent ces derniers temps. Se pourrait il qu’il ai raison sur le fait que je n’ai pas de mal à rencontre du monde. Cette constatation me surprend, moi qui pensait vouloir rester seul dans mon coin, finalement je laisse du monde se rapprocher de moi. A méditer.

- Tiens, pour me joindre. Si jamais tu as besoin, n’hésite pas. Si je ne réponds pas tout de suite c’est que je suis surement sous une voiture, je te rappellerai dès que je peux. J'ai passé un bon moment, et ...merci.

Je lui adresse un léger sourire.